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Corpus-et-Vulnus est un projet, dans un sens large, “performant”, naturellement complexe car il est constitué de nombreux chemins qui se rejoignent, parfois entre eux. Les nombreux chemins sont les œuvres exposées, les réflexions de l’auteur qui les accompagnent, les références au passé et au présent – Tàpies, Kiefer, Parmiggiani – et enfin le lieu d’exposition où tout se passe et se régénère à travers ceux qui parcourent l’espace d’exposition.
Mais il est également complexe car il est conscient des limites fonctionnelles des œuvres en tant que langage symbolique par rapport à la fluidité des processus qui nous concernent et nous impliquent.
Les corps, a écrit Jean-Luc Nancy dans Corpus, “sont toujours sur le point de partir, dans l’imminence d’un mouvement, d’une chute, d’un éloignement...”, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas des formes à fixer comme des architectures stables, ou dans le sens de la physique classique de particules consistantes mais plutôt des états de mouvements potentiels et relatifs. En d’autres termes, les corps habitent et les lieux ressentent les habitants.
Le “dispositif”, terme qui revient souvent dans les réflexions de Sergio Mario Illuminato, est un mécanisme fait, précisément, de plusieurs parties en relation les unes avec les autres, pas tant dans un sens mécaniciste et donc formel, fruit de compositions et de mesures, mais des parties qui s’hybrident pour une continuité. Le dispositif, organisme complexe, est donc à la base d’une sensation qui filtre à travers les différents éléments: œuvres et lieu.
Tout est étroitement lié, au point que la pensée (peut-être devrait-on dire l’esprit) qui circule entre les différents médias (les tableaux, le texte, le lieu) est le véritable dispositif sans forme définie, tout comme la vie dont le “corpus” et le “vulnus” sont la matière première n’ont pas de forme définie.
De la relation naît l’idée d’un parcours d’exposition ainsi que du parcours de la pensée qui le précède et l’habite.
“«Un bon peintre est intérieurement plein de figures », une réflexion d’Albrecht Dürer reprise par Salvatore Settis en exergue de son texte dans le catalogue d’Anselm Kiefer pour l’exposition au Palazzo Ducale à Venise en 2022.
Kiefer lui-même a soutenu penser en images, aidé par la poésie.
En essayant de dissiper un peu les nuages inscrits dans les métaphores, la convergence de différents médias est typique de la nature post-médiatique de la sensation contemporaine, même lorsqu’il s’agit de peinture-peinture, comme dans le cas de Corpus-et-Vulnus.
Cependant, la peinture a besoin de se nourrir au-delà du cadre de la composition, en habitant un lieu fort, sensible au site, comme l’ancienne prison de Castello à Velletri, afin de placer «la condition très fragile de la réalité humaine » au centre, écrit l’auteur ; en donnant forme à une pensée-matrice de processus, comme celui de Nancy, pour engager enfin un dialogue régénérant qui commence au moment de l’exposition.
C’est pourquoi l’on peut également parler d’une sensibilité “performative” au-delà de la grammaire trop stricte des langages, car les œuvres peuvent également fonctionner comme des performeurs dans un champ de relations qu’elles activent.
Nous avons été habitués à intérioriser la peinture comme une réalité sacrée insondable et autosuffisante, à regarder de loin, presque comme une île où l’on ne peut pas débarquer.
Alors que « voir peindre – soutient William J.T. Mitchell dans son Pictorial Turn – c’est voir toucher, voir les gestes de l’artiste, voilà pourquoi – déduit Mitchell – il est si strictement interdit de toucher les toiles ».
Travailler sur l’exposition, en revanche, comme s’il s’agissait d’un récit également biographique qui rend la position de l’auteur dans un champ problématique de relations, est une manière de révéler le travail en faisant sentir le processus et donc la vitalité.
Les médias visuels n’existent pas, a encore soutenu Mitchell, voulant argumenter qu’il n’y a pas de médias « purs », car nos sens ne peuvent pas agir de manière autonome, étant dans un corps-organisme.
Corpus-et-Vulnus forment un organisme sensible et communicant dont les signes ne sont certainement pas des illustrations abstraites de concepts, mais des concepts-matrices eux-mêmes, en tant que parties constitutives d’un organisme vivant et proliférant.”
Prof. Franco Speroni, écrivain, historien et critique d’art, professeur d’histoire de l’art contemporain et de méthodologie de la critique d’art à l’Académie des Beaux-Arts de Rome